Entretien avec Jean-Michel Platier

Les éditions Bérénice, association loi 1901, qui ne fonctionne qu’avec des bénévoles, existe depuis juillet 1995 et a à son actif plus de 130 livres édités. L’objectif de la maison d’éditions fut d’éditer des auteurs contemporains dans tous les champs de la littérature ; nous avons édité des ouvrages de poésie, romans, nouvelles, essais culturels et politiques ; une BD, un polar.

A l’origine, ce sont deux poètes qui ont créé le label : Jean-Michel Platier et Francis Vladimir.

L’équipe est restée stable durant les 12 premières années et c’est Brice Beauprêtre, notre infographiste de génie, qui fit les mises en pages et a conçu les couvertures de tous les livres.

Parmi nos succès, outre l’estime des lecteurs qui nous ont fait confiance, le roman de Chantal Portillo La Femmepluie a obtenu le label Attention talents FNAC en 1999.

Après une double parenthèse d’interruption, dans les années noires 2012-2015, qui vit la disparition tragique de Charb qui nous avait donné 2 dessins pour des couvertures, et la pandémie, nous avons repris le chemin de l’édition et des imprimeurs ; en publiant à l’automne 2023 une série de 7 livres dont 6 sont sortis à ce jour.

La politique éditoriale est toujours fondée sur les mêmes valeurs : liberté totale d’expression et d’écriture, indépendance, volonté de défendre des manuscrits originaux en les proposant aux lecteurs.

Ce que nous sommes aujourd’hui… ? Déjà plus les jeunes hommes des années 1995 ! presque 30 ans se sont passés. Et ma fille aînée Bérénice a eu cette année 30 ans…

Le nom Bérénice vient en hommage au roman de Louis Aragon Aurélien et à la pièce d’Andrée Chedid Bérénice d’Egypte. Avec pour exergue : « Ensemble tout sera possible. Ensemble nous mettrons ce peuple debout ! ».

J’ai rencontré Francis lors d’une formation en Sorbonne. Il avait en partage avec moi le goût des lectures et de la poésie ; j’en écrivais depuis 1986. Je lui ai soumis mon premier livre Le poids des silences qui avait eu l’honneur d’être cité 2 fois par André Parinaud sur France Inter. Francis m’a fait lire son texte Les Crépusculaires. Et ce fut le second livre de cette longue série puisque nous nous sommes ouverts aux autres auteurs, pour faire vivre leurs œuvres. Moi je me disais le plus grand poète français, du haut de mon 1,96 mètre et Francis ressemblait à Robert Redford !

Le projet relevait d’une véritable ambition culturelle et politique, au sens noble du terme. Cette aventure fut l’occasion de découvrir nombre d’auteurs brillants, talentueux et des peintres. Dont Annie Maurer qui nous fit de nombreuses et très belles couvertures. Annie trop tôt disparue…

Paul Desalmand, l’homme de l’art, éditeur, passionné de grammaire et de la langue française, spécialiste de Stendhal nous a aussi accompagné durant une dizaine d’années.

Oui, ce fut un rêve fou. Mais qui a marqué ceux qui nous ont suivi. Et durablement. Des amis nous ont aidé, soutenu, appuyé… Thierry Renard à Lyon, Valère Staraselski à Paris… et tant d’autres anonymes qui se reconnaitront.

Aujourd’hui, en me retournant vers ce passé récent, je n’ai aucun regret ; la maison a connu une belle aventure. Mais j’ai voulu la relancer sur de nouvelles bases en axant sa politique de parution sur l’originalité des textes, leur poésie et le lien à construire entre tous les auteurs, effectivement déjà entre eux-mêmes, pour qu’ils se soutiennent dans une forme originale de syndicat qui ne dirait pas son nom, mais aussi de promouvoir ces œuvres que le système laisse passer… faute d’ambition ou de volonté, faute de courage et d’audace !

Je demande à un livre inédit qu’il me surprenne, qu’il m’émeuve, qu’il m’apprenne plein de choses. Sur moi et le monde !

Quant aux auteurs engagés, qu’ils dégagent ! Je ne placerai pas l’idéologie sur le contenu, l’expression ou la langue. Ecrire c’est faire œuvre et de liberté. Contre toutes censures auxquelles on nous a soumis depuis 10 ans. Ecrire c’est résister ! C’est surtout exister par cette intime voie de la connaissance. C’est la seule forme qui permet quelque part d’atteindre l’immortalité… mai en passer par les délires transhumanistes.

En cet automne 2023, en redonnant un second souffle à Bérénice Editions Nouvelles, nous avons voulu défendre plusieurs auteurs :

  • Antoine Aléa et son Carnet secret du dernier Tsar, un roman d’espionnage avec au cœur de l’intrigue toute l’histoire russe et soviétique puis la post Guerre froide… Ce roman clôt une trilogie exceptionnelle digne des thrillers US.
  • Chantal Portillo qui, avec Nul ne connaîtra l’histoire de la prochaine aurore, renoue avec une saga africaine de la fin 19ème siècle – début 20ème autour des Touaregs et surtout de l’emblématique personnage que fut Charles de Foucault.
  • Yama Sanchez, nouvelliste et auteur d’une pièce de théâtre qui s’est jouée en 2023, Chez lui. Après l’avoir vue, j’ai immédiatement proposé à Yama de l’éditer afin qu’une trace demeure de ce texte drôle, ambitieux et tellement humaniste.
  • Augustin Perpère nous a proposé un superbe recueil de poésie L’année sauvage ; cela faisait de très nombreuses années que je n’avais lu un livre d’une telle ambition poétique. Avec une telle force évocatrice. Il fait preuve d’invention, d’une narration originale qui transporte véritablement la lecture des poèmes en lectures de nouvelles ou de romans.

Brice Beauprêtre pour le premier livre et Patrick Lederfajn pour les autres ont travaillé en des temps records pour que ces livres voient le jour avant fin octobre.

Cette première série voit aussi la parution de Wagon virgule train que j’ai écrit en mémoire de Marina Tsvetaieva et en souvenir d’un voyage en train fait de Kazan à Saint-Pétersbourg ; mais aussi d’Un poème pour la nuit, court recueil écrit en hommage à ma mère décédée il y a un an.

Francis Vladimir clôturera cet amiteux programme en éditant JMJ, un roman foutraque en forme de clin d’œil à la littérature mondiale et à ses principales œuvres littéraires fondatrices. L’histoire débute durant la pandémie de covid et se termine presque en une forme de conférence des oiseaux… mais je n’en dirais pas plus !

Editer et publier des œuvres de langue française, c’est maintenir le lien entre lecteur et le livre en tant qu’objet, c’est défendre un niveau d’exigence d’écriture, soutenir la création littéraire. Et trouver des lecteurs car seuls les livres vendus peuvent permettre l’impression de nouveaux talents.

L’ambition est de faire rêver, peut-être susciter des vocations pour des auteurs en herbe, et pour nous autres auteurs manifester le sentiment que nous sommes libres malgré tout. Pour se faire aimer, ça c’est sûr, mais aussi pour faire réfléchir, faire réagir. Instaurer un dialogue muet avec des lecteurs inconnus, restaurer un débat que l’informatique a réduit à néant, sortir du 1 ou du 0, du noir ou du blanc et poser les nuances, les imperfections et les doutes de la nature humaine.

Un projet en soi n’est-ce pas ?